Spontanément, nous avons une vision « rétroactive » de la fidélité. Nous pensons qu’il s’agit d’être fidèles à une parole donnée jadis, à un engagement pris en son temps, à une responsabilité qui nous a été confiée un jour. Cette fidélité au passé, à ce qui s’est passé, à ce qui est peut-être passé et même dépassé, cette fidélité passéiste est difficile à vivre de l’intérieur et difficile à comprendre de l’extérieur. La difficulté est plus grande encore aujourd’hui, car selon l’esprit du monde, tout nous presse de changer, d’innover, d’oublier les expériences du passé pour nous ouvrir à des expériences inédites. Cette mentalité peut aller jusqu’au « zapping » perpétuel : au plan éthique, politique, affectif ou même au plan religieux cela peut entraîner un jeu de bascule incessant entre des choix aléatoires, contradictoires, toujours révisables. À ce jeu on ne construit rien et on ne se construit pas soi-même.

Pour la personne, pour la famille, pour la société, la culture de l’incertitude et la dictature de l’immédiat sont des impasses. Il y a pourtant dans toute erreur une part de vérité. Sans épouser les pensées et les mœurs douteuses du monde, nous pouvons et nous devons entendre les questions qu’il nous pose. Est-ce que la fidélité est un chemin de vie ? Il faut avouer qu’il y a des fidélités mortes et mortifères. Nous croyons que l’amour authentique est source de confiance et de liberté (en soi-même et dans l’autre). Mais il y a des amours qui sont de véritables prisons. Il y a des amours et des fidélités sans avenir.

À dire vrai notre fidélité n’est pas une survivance du passé. Cendres tièdes d’un feu qui finit par s’éteindre. De beaux restes ! À l’origine de la fidélité il y a un projet, une projection, une vision. Le secret de la fidélité n’est pas en arrière mais en avant. On n’est pas fidèle à un Paradis perdu mais à une Terre promise. Le fidèle véritable n’est pas immobilisé voire paralysé dans la crainte de perdre quelque chose, ou dans la douleur d’avoir perdu quelque chose. Il est en marche vers de nouveaux horizons à découvrir. Comme l’apôtre Paul, « oubliant ce qui est en arrière, et tendu vers ce qui est en avant, je m’élance vers le but, pour gagner le prix lié à l’appel d’en haut que Dieu nous adresse en Jésus Christ. » (Philippiens 3, 13-14) – « Suis-moi ! » Les fidèles du Christ ne sont pas des sédentaires mais des nomades, comme les premiers venus à la crèche : bergers qui vivent dehors et mages qui viennent de loin. L’Enfant lui-même, avant même de naître, était déjà en chemin. Il était déjà le Chemin.

« Réjouissez-vous parce que vos noms son écrits dans les cieux » (Luc 10, 20). Pas parce qu’ils sont écris dans un registre d’état-civil ou dans un dossier de mariage. Notre cité est dans les cieux (Philippiens 3, 20). Notre ancre est au-delà du voile, ose dire la lettre aux Hébreux (6, 19). Ce qui nous empêche de chavirer, ce ne sont pas les chaînes du passé et tout ce qui peut nous tirer en arrière. C’est ce qui nous tire en avant. Là-bas, tout s’éclairera. Le sens de tant de choses obscures apparaîtra. Nous avons rendez-vous dans la lumière de « ce visage où toutes les routes convergent » (Claudel).

Comme je suis heureux de cheminer une année encore avec vous, prophètes de l’alliance, pèlerins de l’avenir. « N’oubliez pas l’amour » : ce fut un des derniers messages de Saint Maximilien Kolbe, du fond des ténèbres. Il aurait pu dire : « N’oubliez pas l’avenir. »