Enseignement donné au Conseil du 29/11/2014 par Michel Boyancé, de l’IPC (Facultés libres de Philosophie et de Psychologie)Vérité, discernement du bien et du mal et acte prudentiel
Quels sont aujourd’hui les obstacles qui empêchent de prendre une décision juste ?
Jugement de conscience
Il ne s’agit pas d’un jugement de condamnation mais d’un jugement propre qui va dire : c’est bien ou mal. Le jugement de conscience est un lieu intime, à l’intérieur de notre personne. Aucune conscience humaine ne peut y échapper. Il y a une inclination naturelle de l’homme à faire ce qui est bien et à éviter ce qui est mal.
Le jugement de conscience amène à des cas de conscience (ce qui est une très bonne chose), car sans cela, la situation peut devenir dramatique. Le jugement de conscience peut également conduire à l’objection de conscience.
Lors du concile Vatican II, la conscience a été définie comme le lieu sacré et inviolable de la personne. Elle fait de nous un être libre, capable d’agir face à une situation concrète. Il est important de développer la conscience de l’enfant dans son fort interne (son intimité). Seul Dieu connaît ce qu’il y a au cœur de nous-mêmes.
On distingue la conscience psychologique (savoir que je suis moi), de la conscience morale (pouvoir juger de ce qui est bien).
Jugement de prudence
La prudence est l’une des quatre vertus cardinales, avec la force, la tempérance et la justice. Ce sont les dispositions intérieures à bien agir, qui sont à la fois naturelles et surnaturelles (qui viennent de la grâce et de la prière).
Comment agir dans des circonstances données ? Comment prendre une décision ajustée ? Il faut une bonne articulation entre le jugement de conscience et le jugement de prudence. Par exemple pour l’utilisation de la morphine, qui soulage la souffrance mais dont une dose trop forte risque d’entraîner la mort.
Le jugement de prudence consiste à conjuguer les caractéristiques de l’être humain, sa singularité et son contexte ou les circonstances de son existence.
Raisonnement prudentiel
L’articulation entre les jugements de conscience et de prudence doit tenir compte des trois niveaux d’existence de la personne humaine : corporel, affectif et spirituel. Le jugement moral va chercher le bien de l’homme, ce qui lui est bénéfique. Mais le monde actuel a tendance à confondre le bien de la personne avec l’absence de souffrance et le bien-être de l’individu. Celui-ci, en effet, est positionné par rapport à ses droits, donc à ses désirs : il se laisse enfermer dans sa propre subjectivité car il ne veut pas souffrir. Si une relation ne me fait plus plaisir, je la romps : notre société se limite alors au lien narcissique.
Comme on ne peut accéder à toutes les demandes individuelles, on va demander à l’Etat d’arbitrer. Que devient mon discernement moral, si je dois obéir à une loi souveraine et arbitraire? «Ne réfléchissez pas : obéissez et appliquez les procédures ! » Notre société devient ainsi plus ou moins anarchique car elle s’appuie sur des lois influencées par des lobbies.
L’acte prudentiel d’accompagnement est un acte de circonstance, ponctuel et unique, qui doit prendre en compte la réalité et s’abstenir d’asséner des jugements moraux. Son objectif est de discerner comment, dans le concret, agir en tenant compte de l’universalité du bien, et du bien d’une personne en particulier.
Jugement moralPour discerner si un acte est bon ou mauvais, il faut prendre en compte l’intention, l’acte lui-même et les circonstances, qui peuvent modifier la qualité de l’acte. Faire l’aumône est un acte bon en soi mais, si je le fais pour me faire bien voir, l’intention est mauvaise.
Les circonstances peuvent modifier le jugement. Par exemple, en cas de péril de mort, le sacrement de pénitence peut être donné collectivement, alors que la forme de cet acte n’est pas fondamentalement bonne, car la pénitence doit être individuelle.
Les outils de discernement
La fin ne justifie pas les moyens. Il y a lieu de discerner ce qu’il convient de faire à la lumière du bien et de distinguer : le bien, le mieux, le moins bien, le mal (absolu) et le moindre mal.
Pour qu’un acte soit bon, il faut juger les moyens par rapport à la fin : l’acte posé et son intention doivent être accordés. Dieu nous a donné la conscience qui nous dit, au plus profond de nous-mêmes, que nous faisons quelque chose de bien ou de mal. Les circonstances ne changent pas la nature du bien et du mal mais il faut que la conscience soit éclairée car, si elle est obscurcie, le jugement devient confus. Pour certains, en effet, l’adultère n’est pas un mal puisqu’on se fait plaisir... De même, des jeunes plongent dans la pornographie jusqu’au cou, mais ne pensent pas à mal. Le péché de la société crée cette confusion ou cette ignorance...
Le mal est toujours un mal et jamais un bien. Par exemple, l’avortement ne peut jamais être un moindre mal car la vie humaine est un lieu sacré inviolable. Par contre, la légitime défense n’est pas un acte mauvais. A l’inverse, l’acharnement thérapeutique ne peut être un bien car il va à l’encontre du corps, qui fait partie de la dignité de l’homme.
L’adultère est un mal absolu, indépendamment des circonstances, de même que le fait de tuer un innocent. Il faut juger l’acte en lui- même car l’intention ne suffit pas.
Le moindre mal est en situation de "malheur". Il est un mal et donc, source de mal. Ce moindre mal est subi (pour éviter le pire) mais, s’il est accepté, il déconstruit le bien. Le référent, à ce moment-là, n’est plus le bien. Dans la prostitution (les circonstances), l’utilisation du préservatif est un moindre mal.
Quelques exemples du moindre mal :
- on parle d’une guerre "juste" pour éviter quelque chose de pire, et cependant la guerre reste un mal ;
- je peux tuer le tyran ou le renverser à condition que la situation n’empire pas après ;
- lors du naufrage du Titanic, « les femmes et les enfants d’abord » ont été protégés au détriment des hommes ; lors de celui du Concordia, « sauve qui peut » a conduit les plus fragiles à la mort ;
- l’accompagnement de quelqu’un qui demande l’avortement fait de moi un complice mais je dois éviter de rompre la relation. L’équilibre est difficile, d’autant plus que l’excès de prudence (le rebattu "principe de précaution") ne permet plus de trancher...
Discerner suppose d’être forméRien ne va plus de soi aujourd’hui en raison des nouvelles techniques et des dérives qu’elles suscitent : procréation médicale assistée, "mariage" homosexuel, idéologie du "genre" (qui remet en question l’existence même de la personne sexuée)...
La différence entre l’homme et l’animal se brouille également. Il existe une confusion des jugements de conscience et de prudence. Des lois sont même promulguées en faveur des animaux face aux hommes.
Contrairement au protestantisme, qui prône le libre examen via l’interprétation des écritures, le catholicisme promeut des consciences formées par le Magistère de l’Eglise. Nous devons prier pour obtenir la grâce du discernement et la vertu de prudence...
La miséricorde est un concept très mal compris
L’Eglise ne sépare jamais la justice de la miséricorde. A vue humaine, "faire justice" semble opposé à "être miséricordieux". Et pourtant, rappeler la vérité est un acte de miséricorde car justice et miséricorde sont toujours unies.
Dans l’enseignement de l’Eglise, il existe une distance entre l’objectivité de l’acte et la subjectivité de la personne. Pécher, c’est manquer à ce que l’on aurait dû faire. Dans la confession, le pécheur reconnait ses manques, en vue d’être pardonné. Le pardon repose sur la personne qui commet l’acte répréhensible, mais l’acte quant à lui reste mauvais.La faute commise engendre deux peines : la peine temporelle (désordre concernant le prochain ou la réalité terrestre) et la peine éternelle (offense qui atteint Dieu). Dans la notion de justice, il y a quelque chose d’imparfait car humain : Dieu seul peut juger et décider parfaitement.
J’ai offensé Dieu du fond de mon sanctuaire (c’est-à-dire, mon corps) ; la dimension temporelle de la réparation relève donc de la justice. En revanche, je ne peux pas réparer l’offense faite à Dieu. Il est parfois impossible de réparer, comme dans le cas d’homicide involontaire par exemple, ce qui induit le sentiment de ne pouvoir être pardonné. Nous pouvons malgré cela être sauvés (acte de déliement), même si Dieu nous en laisse la mémoire, car il nous garde sensibles pour aider ceux qui vivent la même situation.
Dans certains cas, ne pas s’exprimer est nécessaire car cela permet de mieux écouter et d’attendre ce qui peut nous éclairer. Nous devons patienter humblement, et ne parler que lorsque l’autre nous y invite. Il faut alors le faire avec prudence, pour ne pas le blesser, et en vérité. Renvoyer l’acte à la personne en la respectant et lui faisant confiance. « Priez et ce que vous déciderez dans le Seigneur sera bien » : la personne se réalise...