Retranscription d’une récollection conjointe Belgique-Flandres-Artois prêchée par le Conseiller spirituel régional en mai 2015Votre situation de personnes séparées fidèles a un lien fort avec l’eucharistie. C’est pour pouvoir vivre l’eucharistie qu’un certain nombre de membres de la Communion se sont réellement posé la question de vivre seul, parce qu’ils ou elles savaient que l’Église demande aux personnes en situation de nouvelle union de ne pas communier. Et au lieu de dire que c’était une règle dépassée, ils l’ont prise au sérieux et ils se sont dit : qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais contracter une nouvelle union, moi ? Et, même si ce n’est pas cela qui vous a motivés à persévérer dans la fidélité, votre vie a un lien fort avec l’eucharistie.
1/ Sacrement et miséricorde
Comme beaucoup d’entre vous êtes questionnés sur votre choix, il serait intéressant de creuser les raisons pour lesquelles l’Église trouve qu’il y a un problème à communier lorsqu'on est en situation de nouvelle union. Je vous ai dit hier que je trouvais que vous étiez parmi les chrétiens ceux qui prennent le plus au sérieux l’Évangile. Vous le prenez au sérieux à cause de la miséricorde, du pardon que vous cherchez à donner. Il y a là un concentré d’Évangile. Il en va de même avec votre façon de vivre le mariage. Relisons donc un des passages de l’évangile qui fondent la conception qu’a l’Église du mariage — et elle considère que c’est la conception du Christ : lecture du passage de l’Evangile Mt 19, 3-12.J’ai choisi ce long passage car il y a beaucoup de choses fort intéressantes pour votre situation, pour la mienne aussi, et pour toutes les situations intermédiaires. Quand on vient questionner Jésus sur le mariage, celui-ci se réfère au plan de Dieu : comment Dieu avait imaginé la vie de l’humanité ? On pourrait se dire : là Jésus fait référence à quelque chose qui est de toute façon cassé : il y a eu le péché originel, il y a eu l’endurcissement dont Jésus parle, et donc voilà, maintenant chacun essaie de tirer son plan comme il peut... Mais si Jésus parle ainsi, ce n’est pas pour dire : ça aurait été bien si ça avait continué comme avant le péché. Jésus ne vient pas pour gémir, parler du passer pour émettre des regrets ; jamais il ne fait cela dans l’Évangile. S’il en parle ainsi, c’est qu’il rend de nouveau
possible de vivre de cette façon. C’est qu’il restaure le projet de Dieu sur
l’humanité. Voilà pour quoi il peut dire : au commencement il n’en était pas ainsi... Comme pour dire : dorénavant il n’en sera plus ainsi non plus... Je vous le dis maintenant : si quelqu’un renvoie sa
femme, sauf en cas d’union illégitime -
et je suppose que c’est pour ça que l’Église a prévu des cas de mariages invalides, ou nuls comme on dit, mais je trouve que c’est trop juridique comme langage ; on comprend mieux lorsqu’on dit "invalide" - pour en épouser une autre, il est adultère. Pourquoi ? Parce que le mariage ne se dissout pas.
L’Église va continuer de méditer là-dessus, et dès le début saint Paul le fera, comme on le trouve en Éphésiens 5 : « 30 Comme dit l’Écriture : 31A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. 32 Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Église. 33
Pour en revenir à vous, chacun doit aimer sa propre femme comme lui-même, et la femme doit avoir du respect pour son mari. » C’est ce passage où saint Paul demande aux maris d’aimer leur femme comme le Christ a aimé l’Église et de se sacrifier pour elles. Et aux femmes d’être soumises à leur mari. Ce qui est d’une justesse phénoménale : si tous les maris se sacrifiaient pour leur femme et toutes les femmes étaient soumises à leur mari, on n’en serait pas là. L’Église a médité tout de suite sur ce que le Christ venait dire en rappelant le texte de la Genèse, pour découvrir qu’il se joue là quelque chose de l’union de Dieu avec l’humanité : le sacrement du mariage parle de l’alliance nouvelle et éternelle, de l’union du Christ avec son Église. Et donc c’est impossible de rompre un mariage, de le dissoudre : le mariage est indissoluble. C’est la bonne nouvelle du mariage.Il y a beaucoup de théologiens, de prêtres aussi, qui considèrent que, puisque le Christ a enseigné la miséricorde — et ils ont raison en disant cela ; la miséricorde de Dieu n’a pas de limite — cette miséricorde aurait la capacité de dissoudre le mariage. Et là je pense qu’ils se trompent. La miséricorde pardonne tout, y compris le divorce, et bien pire encore, le meurtre, etc. Mais la miséricorde n’a pas le pouvoir de dissoudre le mariage, parce qu’avec le mariage nous sommes dans un autre ordre, dans l’ordre sacramentel. Au contraire, la miséricorde fait que le mariage dure encore, que Dieu ne dit pas : puisque vous avez renoncé, moi aussi je renonce. Imaginez un peu, si chaque fois que nous renoncions Dieu disait : moi aussi je renonce ; je ne te demande plus la sainteté ; tu n’en es pas capable, eh bien alors faisons un petit arrangement à l’amiable : je rabote la montagne, tant pis pour le paysage...
Non, Dieu ne baisse pas les bras parce que nous baisserions les bras. Ça, ce n’est pas la miséricorde. La miséricorde, c’est Dieu qui restaure, qui rend capable d’un nouvel avenir ; mais ce n’est pas Dieu qui abaisse l’horizon.
SUITE
2/ Le problème d’une nouvelle union
Grâce à la miséricorde de Dieu, le mariage dure toujours. De sorte que celui qui se "remarie" est marié deux fois. Et que l’union qu’il vit présentement n’est plus le signe du don irrévocable du Christ à son Église, du Christ qui aime sans jamais se reprendre. Ce signe se trouve dans sa première union, le mariage sacramentel, pas dans la seconde.
À cause de cela, l’Église demande aux divorcés réengagés de ne pas aller communier. Ce n’est pas à cause du fait d’être encore dans le péché - bien que juridiquement, cet argument pourrait être valable : vous vivez dans l’adultère, et chaque fois que vous vous unissez à votre compagne, à votre compagnon vous réitérez cet adultère, donc votre péché, et à moins d’y renoncer vous ne pouvez pas recevoir le sacrement de réconciliation et vous ne pouvez pas communier. Un tel argument se tient, mais il parle mal de l’espérance que Dieu a pour nous et du chemin qu’il trace. Il vaut mieux chercher des raisons de vivre du côté sacramentel, qui implique que l’union des divorcés réengagés n’est pas le signe que l’eucharistie représente.
L’eucharistie représente le don irrévocable du Christ à son Église. Ça c’est le premier mariage, le seul. Maintenant, dans le ré- engagement, si on veut communier au Christ, si on veut s’unir à la volonté du Christ, c’est mieux de ne pas communier à l’eucharistie afin de ne pas introduire de contradiction entre ce que l’eucharistie représente et ce que les personnes vivent dans cette nouvelle union. À cause de ce qu’est le mariage par rapport à l’eucharistie, un divorcé réengagé communie davantage au Christ en n’allant pas communier qu’en allant communier. S’il veut progresser dans la communion avec le Christ, qu’il prenne ce chemin d’accueillir l’Évangile du mariage qu’à l’image du don du Christ on ne peut pas dissoudre. Qu’il l’accueille dans sa vie, dans sa chair, dans sa spiritualité. Ce sera une limite aussi, mais c’est le premier chemin de communion, qui va permettre de progresser.
Ce que le Christ a toujours voulu c’est que l’on puisse progresser, que le chemin ne soit pas fermé. Dire « les personnes divorcées réengagés peuvent aller communier, comme si elles n’avaient pas été déjà mariées d’un mariage indissoluble », c’est fermer le chemin. C’est empêcher tout progrès dans la vérité. Mais dire sans nuance « tu ne peux pas aller communier parce que tu demeures dans le péché », c’est aussi fermer tout progrès. Il y en a qui sont d’une très bonne pâte, qui se diront : alors je vais me convertir ! Mais il faut être d’une très bonne pâte. Il faut plutôt préparer le chemin. En disant par exemple : si tu veux vraiment communier au Christ, relis l’Évangile, regarde ce qu’il dit du mariage. Et peut-être qu’en assistant à la messe et en te privant de la communion, tu communies davantage à lui, à sa volonté. Car ce qui compte, ce n’est pas de prendre l’hostie, ce n’est pas d’être reconnu par les autres, mais de s’unir à la volonté du Christ : c’est ça la communion. Cette façon de voir est utile pour nous aussi : quand je vais communier, je vais dire au Seigneur Jésus que je veux que ma volonté épouse sa volonté. Seigneur, apprends-moi à vouloir ce que tu veux ! On pourrait proposer ce chemin pour commencer à la personne divorcée remariée qui s’est habituée à communier: dorénavant, quand tu vas communier, dis à Jésus : Seigneur, apprends- moi à vouloir ce que tu veux ! En tous cas, il est hors de question que des prêtres commencent à refuser publiquement la communion. On peut le faire devant un meurtrier dont on sait qu’il vient de tuer, ou qu’il ne se repent pas... Mais la personne divorcée réengagée est parfois prise dans toutes sortes d’intrications qui font qu’elle n’est pas toute seule, qu’il y a parfois des enfants qui ont été conçus... Imaginer qu’on retournerait simplement dans l’ordre en abandonnant conjoint, enfants, pour revenir à sa première épouse, à son premier mari, ce n’est pas toujours le chemin de Dieu, même si cela pourrait être le chemin de l’ordre. Le Seigneur trace des vrais chemins, pas des chemins théoriques.
3/ Le prix de l’amourPour communier, il faut se mettre dans la dynamique du signe de l’union du Christ qui se donne sans se reprendre à son Église. Vous, vous avez justement choisi la privation affective de ne pas vous lancer dans une nouvelle union et c’est, entre autre, pour l’eucharistie que vous avez fait cela. Du coup, il faut vivre l’eucharistie intensément. Vous en savez le prix d’une façon spéciale : pour que nous vivions l’eucharistie, le Christ a donné sa vie sur la croix ; et vous, vous connaissez le prix de ce que c’est donner sa vie sur la croix, donner un amour qui ne se reprend pas même quand il n’est pas reconnu. Le Christ nous convie à son repas, c’est le repas du Seigneur où ce qui est partagé est le corps du Christ, le Christ qui s’est offert en aimant. C’est ce repas sacrificiel qui nous rassemble. Dans le mot sacrifice, on a souvent mis l’aspect douloureux, pénible. Mais le synonyme le meilleur est « don, oblation ». La première peine qu’il y a dans le sacrifice est l’arrachement lié au fait qu’on se donne et que donc on perd ou on a l’impression de perdre ce qu’on donne. C’était déjà ainsi dans l’Ancien Testament : on devait offrir le premier né du troupeau. Il y a une perte, mais c’est pour un don, pour être en relation. La dimension sacrificielle c’est toujours un don pour être en relation avec Dieu. Un équivalent de sacrifice pourrait être « cadeau ». On pourrait dire : pour ton anniversaire, je t’offre ce sacrifice !
Il y a une circonstance particulière au sacrifice du Christ : il n’a pas offert sa vie dans un débordement de reconnaissance et de jubilation, il a offert sa vie alors que son amour était rejeté, moqué : quel idiot d’avoir pris ce chemin ! Pour qui se prenait-il ? Etc. C’est cela que l’on vit dans l’eucharistie. Et on le vit sur le mode de l’action de grâce. Non pas sur le mode douloureux de se lamenter sur nous- mêmes qui avons causé cela, mais sur le mode de la reconnaissance : Seigneur, nous te rendons grâce pour tant d’amour, nous te rendons grâce de ne pas avoir baissé les bras devant notre refus, devant notre indifférence, devant l’indifférence du monde, devant l’indifférence de mes enfants, de mon voisin, de mon conjoint, de moi-même... Nous te rendons grâce de t’être donné jusqu’au bout.
Vous voyez ainsi comment ce que vous vivez comme douleur dans votre vie, comme peine, comme manque, s’unit à l’acte du Christ qui a donné sa vie sur la croix et qui donne sa vie dans l’eucharistie. Voilà pourquoi l’eucharistie est tellement importante pour vous.
L’eucharistie, ce n’est pas que notre action de grâce. C’est d’abord l’action de grâce du Christ à son Père : Père je te bénis, pour ma vie, pour ce que je suis, et je m’offre à toi, je fais mienne ta volonté de sauver l’humanité. C’est dans les mains du Père que le Christ donne sa vie pour ses brebis. Et nous assistons à cette action de grâce du Fils de Dieu qui se remet tout entier à son Père. Toute notre vie, à la messe, nous la ramassons dans nos mains pour l’offrir au Père avec le Christ.
Voilà ce que saint Paul donnait comme clé de vie aux Romains : « 1 Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. 2 Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rm 12) Rendre l’offrande de notre vie capable de plaire à Dieu, seul le Christ peut le faire. Comme disait sainte Thérèse, toutes nos perfections ont des taches aux yeux de Dieu. Du coup, nous faisons notre offrande dans l’action de grâce : Seigneur, sois béni de me permettre de m’offrir en sacrifice qui te plaise, parce que ça n’était pas gagné d’avance étant donné ce que je suis ! Quant au monde, ne le prenons pas pour modèle mais aimons-le comme le Christ l’a aimé : comme un monde qui doit être sauvé, et pas comme un monde qui doit être suivi. Et dans ce monde nous cherchons à renouveler notre façon de penser, afin d’échapper au poids despotique de la pensée unique, qui nous jette dans un nouveau totalitarisme, plus dur encore car il ne montre pas son visage de sorte que notre réaction devient plus difficile. Le bon moyen c’est de lire l’Évangile, et de l’apprendre petit à petit par cœur.
SUITE et FIN
4/ Un sacrifice de réconciliation
Le Christ s’est offert pour les péchés. C’est-à-dire à cause du péché, parce qu’il ne s’est pas dérobé — s’il était venu dans un monde où il n’y a pas de péché cela ne se serait pas passé ainsi — et également en rémission des péchés, pour surmonter les péchés.
Jésus n’a pas simplement été victime de terroristes, il s’est offert lui- même. Et il savait qu’il le faisait «en rançon pour la multitude» (Mc 10,45). C’est-à-dire qu’il s’est offert lui-même pour surmonter les péchés dans l’amour. Ce «dans l’amour» est très important : s’il avait offert sa vie sur la croix à contrecœur, en maugréant, il ne nous aurait pas sauvés! C’est parce qu’il les a surmontés dans l’amour. Pas parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, mais parce qu’il voulait brûler tout cela dans l’amour. De sorte qu’il vous offre aussi à vous de brûler les péchés dans votre amour.
Ce qu’il a fait, il nous offre de le faire. Quand nous communions nous n’allons pas seulement bénéficier de ce qu’il a fait mais nous nous offrons nous-mêmes et le Christ nous offre de participer à cette consommation des péchés dans l’amour. Par notre amour douloureux nous consumons aussi nos propres péchés, les péchés de notre conjoint, de nos enfants et de bien plus loin, les péchés qui se font dans le monde. Comme le suggère saint Paul : «je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église.»
(Col 1,24). Non pas qu’il manquerait quelque chose à l’œuvre du Christ qui a tout offert pour toute la vie du monde. Mais cela doit être traduit aujourd’hui, cela doit être relayé, avoir un écho contemporain. Et moi, dans mon amour souffrant, je donne le retentissement de ce don que le Christ a fait, j’en suis la caisse de résonance, ou mieux : le haut-parleur.
Il ne faut pas s’étonner que tout cela soit mal reçu, mal compris, qu’on doive essuyer des moqueries, des prises de distance. C’est exactement la situation de la croix. Et ce n’est pas facile. Il ne faut pas s’étonner que nous soyons peu. Ça m’arrive, avec les responsables de la Communion, de rêver que dans tous les diocèses il y ait une antenne de la CNDA, que nous soyons sur toutes les affiches de la pastorale familiale, etc. Mais ce n’est pas ainsi. Et Jésus lui-même nous a avertis : « ce n’est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l’a révélée » (Mt 19,11).
Quand nous pestons d’être peu, d’être mal compris, d’une part nous avons raison mais d’autre part il faut dire : Seigneur, merci de m’avoir révélé cette parole, à moi; et je te prie de la révéler aussi aux autres. Quel paradoxe: nous chrétiens, nous avons un message universel, et il y en a si peu qui nous suivent! Dans l’Ancien Testament déjà les prophètes parlent fréquemment du «petit reste», le petit peuple de pauvres du Seigneur. Mais nous sommes comme le fer de lance du Seigneur, qui a plus d’un moyen de sauver le monde : le Christ a donné sa vie sur la croix pour le salut du monde, pas seulement pour la vie de la poignée de fidèles obstinés que nous sommes. Quant à nous, nous devons être des fidèles obstinés, afin que le Fils de l’homme, à son retour, trouve encore la foi sur la terre.
5/ Le pain de la vie éternelle
Un point sur lequel je voudrais aussi m’attarder un peu c’est que cette eucharistie, pour laquelle vous faites une grande place dans votre vie, est le «pain de la vie», et pain de la vie éternelle (voirnotamment Jn 6, 48-58). Elle est le pain qui nous fait vivre de la vie du Père qui est source de toute vie. Le pain par lequel la vie fait irruption en nous. Définir la vie est difficile, mais chacun peut se représenter ce qu’est la vie qui tressaille, qui bat, qui grandit. L’eucharistie n’est pas une potion magique, mais quelque chose qui nous unit au Christ, qui nous fait demeurer en Christ, et qui nécessite de vouloir demeurer en lui. C’est une union vraiment intime, et c’est ce que nous cherchons : l’union la plus intime possible avec le Christ. Nous sommes des passionnés du Christ et de son Évangile.
Ce qui n’est pas toujours facile à vivre dans le monde d’aujourd’hui, où on nous dirait : pourquoi en faire tant? Nous sommes dans un monde où la spiritualité est vécue comme la cerise sur le gâteau plutôt que le gâteau lui-même et moins encore le pain quotidien. On imagine la vie spirituelle, même chrétienne, comme un assaisonnement, comme quelque chose qui met du piment dans la vie. Mais nous disons : non, c’est la nourriture de base, et je ne peux pas vivre sans le Christ — ou plutôt, je ne veux pas vivre sans le Christ... car nous sommes capables de le faire comme les autres, vivre sans le Christ, mais nous ne voulons pas, nous voulons que le Christ soit notre vie, nous voulons que l’eucharistie soit notre pain de vie. Nous ne voulons pas aller chercher notre vie en dehors de cela, en prenant nos affaires pour vivre notre vie comme nous en avons envie. Mais nous voulons vivre notre vie unie au Christ, recevant notre vie du Christ.
Et c’est le pain de la vie éternelle. Vous aussi, c’est sur fond de vie éternelle que vous vivez votre situation. Les retrouvailles avec votre conjoint, vous sentez bien que souvent c’est plutôt pour la vie éternelle que pour maintenant. Pour beaucoup de gens, parler ainsi signifie : c’est pour jamais, pour une
perspective complètement hors de portée. Mais vous apprenez à sentir que ce n’est pas pour un horizon indéfini, mais pour quelque chose de vraiment réel. La plupart des gens ne pensent pas à la vie éternelle avant d’être atteints par un cancer en phaseterminale ou quelque chose du genre, et du coup la vie éternelle est très théorique.
Pour beaucoup de chrétiens, la vie éternelle est un sujet fort peu intéressant, ou même qui fait peur. Un des trésors les plus beaux de la foi chrétienne est devenu un sujet qui repousse. Fréquemment, la vie éternelle ne change pas notre façon de vivre aujourd’hui, de regarder le monde, de considérer les combats que nous avons à mener. Quant à vous, vous accueillez la vie éternelle d’une façon plus intense, et vous rendez plus vivantes ces paroles de Jésus : celui qui mange de ce pain ne mourra jamais, je donne le pain qui nourrit la vie éternelle. C’est une situation semblable à celle des célibataires consacrés, qui eux aussi accueillent dans leur vie une sorte de brèche ou de fenêtre vers la vie éternelle: ils sentent bien qu’ils ne peuvent pas espérer l’accomplissement de leur vie ici-bas, même s’il y a beaucoup de joies apostoliques et beaucoup de joies à se donner au Seigneur dans la prière, en plus de l’un ou l’autre petit plaisir de la vie.
C’est bon que votre vie comme la nôtre parle de la vie éternelle, soit mobilisée pour la vie éternelle, et que les gens n’attendent pas d’être presque inconscients pour se poser la question. Sinon, il ne reste que l’euthanasie comme solution lorsqu’on souffre trop : la situation de notre société par rapport à la fin de vie est aussi une situation de déficit de prédication sur la vie éternelle.
Quant à nous, nous pensons à la vie éternelle, pas en réaction contre les limites de cette vie mais par adhésion à une vie plus grande; et notre situation d’insatisfaction, d’incomplétude est comme une ouverture vers cette vie plus grande que Dieu veut donner. Sans cela, Dieu reste là avec sa vie qu’il veut nous donner et nous répondons : c’est bien gentil, mais la vie terrestre me suffit bien... ta vie sera pour plus tard, quand la vie terrestre ne me satisfera plus. Quelle peine ça doit être pour Dieu, qui est là avec le cadeau de sa vie et à qui nous répondons : plus tard, plus tard! Quant à nous, avec cette brèche dans notre vie, nous devenons capables de crier vers la vie éternelle, dont Dieu nous a dit que c’était une vie plus grande.
P. Christophe (Tournai) – BELGIQUE
En raison de sa longueur, ce développement sera publié sur plusieurs numéros