Ci-dessous le résumé de l’intervention du Père Cédric Burgun, vice-doyen de la faculté de droit canonique de Paris, juge ecclésiastique et directeur au séminaire des Carmes. Il accompagne aussi les concubins et forme aux méthodes naturelles de régulation des naissances.
1. Le synode
Annoncé en janvier 2014, il se déroula en deux étapes en octobre 2014 et 2015. Le Pape François, qui innove, légifère et gouverne, nous a livré une exhortation apostolique dès avril 2016 (normalement 18 mois).
Pourquoi un synode sur la famille ? Selon le Père Burgun, le message de saint Jean-Paul II (Familiaris Consortio) n’ayant pas été entendu, il fallait saisir la pastorale familiale dans son ensemble car, 35 ans après ce message, les choses avaient évolué comme en quatre siècles. La préparation au mariage n’est plus adaptée et la pastorale familiale peine à être dynamique dans l’Eglise. Avec les questionnaires, le Pape a voulu dresser un constat précis des réalités familiales d'aujourd'hui.
Le terme "cheminer" est le mot-clef de l'exhortation. Elle critique certains prêtres, qui ont un discours trop théorique sur la famille, et la pastorale car l'Eglise a sa part de responsabilité dans les souffrances de la famille : manque de formation des acteurs, trop d'insistance sur la parentalité par rapport à la conjugalité et idéalisation excessive du mariage. Cf. AL § 35, 36 et 37. La pastorale familiale attend trop souvent que les personnes règlent leur situation avec Dieu avant de construire quelque chose avec eux. Il y a un vrai défaut d’accompagnement dans l’Eglise sur les questions familiales (préparation au mariage et accompagnement des couples) : à qui s’adresse un couple qui est en difficulté ?
Concernant les séparés-divorcés-fidèles, le Pape recommande une pastorale de la réconciliation et de la médiation. Cf. AL § 242. Notre Communion doit jouer le rôle du grain de sable dans les rouages et notre souffrance doit porter du fruit. Témoignons de notre situation et de la façon dont nous accueillons la grâce. Demandons aux prêtres et aux évêques ce qu’ils font pour la famille et ne les lâchons pas tant qu’ils n’ont pas répondu ! Enfin, interrogeons-nous sur le petit pas supplémen- taire dans la fidélité que nous pourrions faire...
Ne présentons pas l’idéal du mariage car il est au ciel. Les jeunes en ont peur car ils entendent dire que la moitié des couples se séparent. Or, toute famille est en chemin vers Dieu. Commençons par proposer "les Vosges" avant de proposer "l'Everest".
Le pape s’appuie sur la Bible qui est une histoire de familles qui n’arrêtent pas de se fourvoyer, mais Dieu vient dans chacune d’elles. La 3ème guerre mondiale se déchaîne contre la famille, lieu du combat spirituel le plus violent. Ce n’est pas exceptionnel parce que le Malin s’excite depuis le début contre elle. Le péché originel fut la première blessure conjugale car le diable ne supportait pas que le couple reste une image de Dieu intacte.
La croix est plantée dans la famille depuis toujours. Nous devons reconnaitre cette croix car elle devient source de fécondité. Tout montre que la Grâce peut germer dans la souffrance et est source de salut. Dieu utilise ce moyen par surcroît de miséricorde pour porter du fruit dans nos familles. La croix est fructueuse si elle est offerte.
2. Les obstacles à la vie de famille.
Le Pape conseille de ''contempler la famille dans sa réalité'' et pas dans son idéal. Les deux synodes constatent les attaques de la famille :
- Handicaps, misère, migrations
- Stress, manque de temps
- Manque de désir
- Ne plus se retrouver autour de la table
- Politique familiale et civile insuffisantes
- Violence physique et psychique
- Théorie du genre
- Négation de la vie
- Blessures liées à la vie affective et sexuelle ; la pornographie est le seul contact avec sexualité et affectivité pour beaucoup de jeunes, via internet. Comment, ensuite, parler de chasteté à des personnes de 30 ans qui errent depuis 10 ou 15 ans ? Cf. AL § 83.
Le Malin s’excite, mais il ne pourra jamais effacer l’image de Dieu qui est en nous malgré la lourdeur de nos infidélités. L’amour entre un homme et une femme, quelle que soit la moralité de cet amour, dit toujours quelque chose de Dieu. Le plus bel exemple réside dans la beauté d'un couple qui se donne la main dans une ville comme Paris, pourtant sale, polluée et pleine de graffitis.
Accueillir les "situations complexes" (nouvelle dénomination des situations irrégulières) consiste à cheminer avec elles, car l'Eglise est un hôpital de campagne. Il faut présenter le mariage comme un parcours dynamique de développement, une bonne nouvelle de salut. Cf. AL § 7 et 221. Le point de départ du mariage est fragile et le Christ plante sa croix dans cette fragilité. Malgré notre pauvre humanité, il nous faut trouver par la grâce du Christ une réponse créative et généreuse pour faire advenir une réalité toujours plus belle. Le Pape François nous demande de ne pas faire peser la grandeur de l’amour du Père et la perfection de l'amour conjugal sur les couples. Cf. AL § 122.
Un couple séparé reçoit toujours quelque chose de son sacrement de mariage car Dieu offre un chemin possible qui découle de cette fidélité : le sacrement demeure et porte du fruit car c'est un processus dynamique. A Noël, Dieu épouse notre pauvreté par celle de sa crèche. Dieu épouse de la même façon notre pauvreté à travers notre mariage.
Le Pape veut éviter de créer des catégories : les "tout blancs" et les "tout noirs" car, dans l’ordre de la conjugalité, tous sont gris. Cf. AL § 292. Quelle que soit la situation des couples, si leur amour est sincère, il est la semence de ce que Dieu veut. Même l’homosexualité peut comporter la fidélité et une forme de générosité, ce qui est un mouvement positif, tout en n’ayant rien à voir avec le mariage.
Dieu n’est pas présent dans l’acte d’adultère, mais la miséricorde de Dieu trouve toujours un chemin. Quand des divorcés civilement remariés s’aiment sincèrement, quelque chose de l’amour se joue entre eux.
Le sacrement de mariage porte du fruit dans la fidélité mais aussi dans la souffrance. Trop souvent on voit le sacrement de mariage comme s'il perdait toute fécondité dès la séparation. Dieu est capable de faire germer une source de salut au cœur de la souffrance.
3. Miséricorde développée par le pape dans Amoris Laetitia.
Dans sa lettre apostolique Salvifici Doloris, saint Jean-Paul II montre comment l’Evangile de la souffrance rencontre l’Evangile de la famille. La souffrance révèle la force de l’amour envers autrui et nous sommes appelés à être témoin de cet amour dans la souffrance, car elle est le lieu où Dieu nous éduque à un plus grand amour.
Dieu nous donne de compatir avec lui comme le Bon Samaritain, car Il est le premier à souffrir avec l’homme de son péché. La souffrance nous révèle la grâce de Dieu dans la sensibilité de notre cœur qui se laisse toucher. Quand notre souffrance devient sacramentelle, Dieu se rend présent à travers elle. Dieu la transfigure pour en faire un signe encore plus grand : la Croix devient lieu de la présence ultime de Dieu. Le rideau du temple s’est déchiré parce que le Saint des Saints n’était plus dans le temple mais sur la croix. Comme lui, notre couple s’est déchiré, mais Dieu nous devient ainsi encore plus présent.
Par son Incarnation, Jésus nous invite à rester au contact des réalités du monde, au cœur de l’immoralité d’une situation conjugale qui pèse, que l’on subit. Notre présence renforce le salut pour nous et pour le monde mais aussi l’image que Dieu nous donne à contempler de Lui.
Amoris Laetitia affirme que, dans tout amour, il y a un germe de Dieu et un germe de souffrance si l’amour n’est pas ajusté à la volonté de Dieu. Regardons avec compassion un couple infidèle, car Dieu se penche tendrement sur eux en voyant leur souffrance. Quand je regarde mon conjoint au bras d‘un(e) autre et que cela me fait souffrir, j’ai le même regard que Dieu et j’entre dans Sa souffrance.
Notre vocation profonde comme tout disciple de Jésus est d’aimer, non pas d’un vague sentiment ou d’une émotion feinte, mais bien en imitant le Christ qui aime le pécheur dans son péché, sans attendre qu’il soit sorti de son péché pour l‘aimer. « J’apprends alors à regarder la personne que je n’apprécie pas, ou que je ne connais même pas, non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ. Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires : je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin. » (Benoit XVI, extraits de Deus Caritas est, N°18 )
Le 19/09/16, quatre cardinaux ont exprimé cinq doutes concernant l'exhortation apostolique. En attendant la réponse du Pape, nous devons nous en tenir au magistère et à la tradition. Un enseignement magistériel doit se lire à la lumière des précédents, car il est assisté de l’Esprit-Saint, qui ne peut revenir sur ce qu’Il a inspiré à une époque antérieure.
Temps de Questions/réponses
Père Cieutat. Très éclairant et très profond, à méditer pour chacun. Le Pape ne s’est-il pas trop laissé entrainer sur la communion des civilement remariés ?
Père Burgun. Certains s’imaginent qu’il y a un doute, mais c’est très clair. A la question posée à son retour de Lesbos le 16/04/16 « avez-vous voulu faire un geste d’ouverture pour l’accès à la communion des divorcés-remariés ? », le Pape a répondu « oui ». Il n’y a néanmoins pas d’ouverture systématique, ni de critères extrêmement précis, pour ne pas créer une nouvelle norme canonique. La norme (l’interdiction) demeure. Pour comprendre l’ouverture, il faut s’appuyer sur la tradition de l’Eglise : pour qu’il y ait péché, il faut qu’il y ait entière responsabilité et pleine conscience. Les critères à apprécier sont :
- L’humilité, critère ultime de toute communion et confession, de se reconnaître pêcheur. La file de confession devrait être aussi longue que la file de communion.
- Poser un acte de foi en reconnaissant que l’Eglise a raison quand elle dit que le mariage est indissoluble.
- Voir avec chacun quel pas de conversion peut être fait ce jour. 13
- Je vois quelle est la marge de correction possible ; je reconnais que je suis dans une situation de péché et je souhaite changer de vie ; j’ai le désir de changer ou le désir du désir.
- Eviter de scandaliser ou de causer des maux plus grands que ce qui est déjà fait.
Le Pape dit que, dans ces conditions et dans une situation objective de péché, l’Eglise peut offrir une aide. Le pasteur accueille, écoute, discerne l’aide que la personne peut recevoir dans le trésor de l’Eglise.
Ce n'est pas parce que des pasteurs appliquent mal un texte de l'Eglise que le texte est à jeter. Le Pape est sans cesse en train de rappeler la règle mais entre la règle et la situation de la personne il y a un chemin à parcourir pour que, finalement, elle puisse s’approcher de la règle.
Pourquoi la bénédiction n’est pas autorisée ?
La bénédiction, c’est Dieu qui dit du bien d’une situation, donc pas de bénédiction même pour des homosexuels. Le sacrement n'est pas le pain réservé aux parfaits ou la récompense après la conversion, mais c’est la nourriture qui permet à l’homme de se convertir.
Martin. Nous vivons dans le manque, qui éveille en nous un désir qui nous fait aller au-delà de ce que nous sommes capables de faire et vers le pardon. Reconnaitre la règle ecclésiale de l’empêchement et être privé de communion ne donne-t-il pas un certain élan ?
Père Burgun. Vivre en frère et sœur ne suffit pas pour que tout aille bien parce que le premier conjoint vit toujours seul. Les divorcés civilement remariés qui communient ne revendiquent pas tous nécessairement. La pastorale s’est focalisée sur les sacrements alors qu’il y a bien d’autres "outils" (comme les groupes de prières, où nul ne demande de carte de visite !). Pendant 50 ans, l’eucharistie a été présentée comme la source et le sommet de la vie chrétienne. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait focalisation sur les sacrements.
Question sur nullité. Un prêtre ne doit pas anticiper le jugement du tribunal ecclésiastique car il n’a souvent qu’une seule version. La procédure est longue parce qu'il manque du personnel et qu'il n'est pas possible de contraindre (contrairement au code pénal) des personnes à être interrogées en complément du témoignage des époux.