La nuit obscure de l'amour

Enseignement 331 1Après ces évènements, la parole de l'Éternel fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram. Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. » Abram répondit: « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ? Je m’en vais sans enfants, et l'héritier de ma maison c’est Eliézer de Damas. » Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance, et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier, mais quelqu’un de ton sang. » Puis il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux. Telle sera ta descendance ! » Abram eu foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu’il était juste. (Genèse 15, 1-6)

 

Un chemin imprévisible

Quand ils rêvent du mariage, de nombreux jeunes, par commodité ou par chance, le pensent comme un parcours plutôt linéaire dont les principales étapes sont déjà prévues et inscrites dans le temps : la maison à préparer, la liturgie nuptiale et sa célébration, la naissance des enfants, les préoccupations pour eux... L'imprévisible est considéré comme un malheur et est donc écarté.

Pourtant, dans la promesse nuptiale apparaît même la souffrance, chacun disant en effet : « pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie et dans l’adversité ». Ce sont des paroles qui sont souvent prononcées sans avoir une conscience claire de ce qu'elles signifient. Les rêves sont trop ingénus et souvent s’écrasent violemment sur le rocher des événements imprévus qui barrent le parcours ordinaire. Il s’agit parfois de situations douloureuses qui mettent la foi durement à l'épreuve, d'autres fois de faits humainement désagréables qui demandent un supplément d'amour.

A côté de ces circonstances extérieures, nous devons d’autre part considérer celles liées à la fragilité de l'amour : les désaccords avec son conjoint, les conflits et les malentendus avec ses enfants, les divergences avec d'autres parents et amis. Et tout se répercute inévitablement dans la vie conjugale, chaque événement est un poids qui s’ajoute aux problèmes quotidiens.

Enseignement 331 2S’engager dans le mariage c’est comme monter dans un bateau et prendre le large. C’est une aventure non sans risque et une histoire qu’il n’est pas possible de prédéfinir une fois pour toutes. Dans ce domaine, il n'existe aucune assurance. L'élan des premiers temps se perd dans les brumes d'une vie pleine d'engagements. Pour tous les époux, tôt ou tard, arrive le moment où chacun se demande s'il a bien fait de se marier, s’il ne convenait pas d'attendre encore et de vérifier avec une plus grande attention sa disponibilité et celle de l’autre.

L'existence est pleine de faits imprévus et non désirés, mais ceux qui procurent le plus d'amertume sont liés à la vie conjugale et aux décisions de son conjoint. Dans ce cas, il semble vrai que le bateau, qui jusque-là était balloté par les flots, puisse se retourner définitivement. Si le chemin existentiel est déjà en soi très accidenté, la voie conjugale apparaît pleine d'épines. De nombreux époux ne se résignent pas à vivre sans joie et sans amour. Mais l'histoire ne peut pas rester prisonnière des limites humaines, car Jésus-Christ est venu précisément pour nous libérer de nos chaînes, même de celles qui naissent de notre fragilité.

Il construit un autel

L'expérience d'Abraham et Sarah apparaît très semblable à celle vécue par de nombreux couples : eux aussi s’avancent avec joie mais, tout au long du chemin, ils découvrent les difficultés et se laissent envahir par la peur. La docilité du cœur ne supprime pas le doute, la perplexité et les erreurs.

Enseignement 331 3Abraham se met en chemin, il se laisse guider par la promesse, mais reste marqué par sa fragilité humaine. Ainsi naît la peur , la difficulté de croire, le doute, la plainte très humaine de celui qui ne voit aucune réalisation, même engerme. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’Abraham semble être
"notre père dans la foi" : la sienne lutte, doute, cherche et grandit. Nous pouvons appliquer à Abraham les paroles que Vatican-II dit de la Vierge Marie : « elle avança dans son pèlerinage de foi » (Lumen Gentium, 58). Abraham et Marie sont deux figures splendides qui éclairent respectivement l'AT et le NT, deux sommets, deux modèles pour l'Eglise pèlerine :

-  le oui d'Abraham marque le début de l'histoire du salut ; 

-  le oui de Marie ouvre la voie de la rédemption. 

Abraham est devenu père de tous les croyants et Marie, mère de tous les anawim, les "petits" qui cherchent Dieu avec un cœur sincère. Abraham et Marie éclairent la route qui mène au Christ, ce sont des phares qui brillent dans la nuit, montrant le but.
Abraham a tout laissé, faisant confiance à une promesse mystérieuse et vague. Avec son peuple, il marche vers l'ouest.Quand il arrive dans le pays de Canaan, le Seigneur se révèle à nouveau, confirme et précise l'annonce initiale : « A ta descendance, je donnerai ce pays ».
La promesse commence ainsi à prendre une forme plus précise. Le "pays que je te donnerai" est maintenant concret. C’est la terre que Dieu a promise, mais... Il y a toujours un mais dans les plus beaux moments de la vie. Pour le moment, cette terre est habitée par les Cananéens ; elle leur appartient et ils n’ont aucune intention de la céder à d'autres. Or, Dieu n'a pas promis qu’Il lui donnerait ce pays. Peut-être qu’Abraham comprend alors seulement qu’il ne verra pas la réalisation de la promesse et que ce sont ses descendants qui entreront en possession de la terre.

Cette parole, neuve en partie, pourrait engendrer une sourde déception, comme pour celui qui se sent trahi. Mais Abraham ne vacille pas dans sa foi, il ne demande pas de hâter le moment, il s’en remet à la volonté de Dieu. Et comme signe de sa foi, il construit un autel à cet endroit.

Avant de devenir le lieu des sacrifices, l'autel est comme un signe visible qui fait mémoire de la théophanie. Les autels rappellent l'intervention de Dieu dans l'histoire. Avant d'être une parole que l'homme adresse à Dieu, ils sont le signe de cette parole que Dieu a adressée à l'homme. Et ils sont construits sur le lieu où Dieu s’est manifesté, pour souligner sa présence dans l'histoire. L'autel entend préserver en quelque sorte la sainteté du lieu sanctifié par la présence de Dieu. L'homme ne veut pas oublier la venue de Dieu dans sa vie, l'autel est comme un signal lumineux qui rappelle que Dieu est passé.

Fin de la 1ère partie des extraits de la prédication de Don Silvio Longobardi, de la fraternité Emmaüs de Lisieux