Voici un autre exemple d’écoute : Nicodème venant demander l’enseignement de Jésus. L’initiative est venue de Jésus, car Nicodème confesse qu’il a eu l’idée de venir interroger Jésus en voyant les signes que celui-ci accomplit. Sa décision d’aller
voir Jésus est donc déjà une réponse. C’est un acte positif de sa part.
Nous avons le droit de demander à Jésus qu’il nous enseigne. Il nous laissera peut-être un certain temps dans le silence, mais il nous enseignera sur l’amour comme il l’a fait à Nicodème. Jésus est le centre de toute logique d’écoute et de communion.
Nicodème vient trouver Jésus de nuit, sans doute par peur des Juifs. C’est peut-être une des significations de la remarque finale de Jésus sur le fait de venir à la lumière. Jésus ne refuse pas cette visite mais exhorte Nicodème à ne plus avoir peur de manifester sa foi. Nicodème proclame sa foi, encore bien insuffisante mais déjà réelle. Il croit que Jésus vient de la part de Dieu et que Dieu est avec lui. C’est déjà beaucoup. Derechef, Jésus va faire grandir cette foi mais il la reçoit d’abord telle qu’elle est.
Nous aussi, nous venons à Jésus avec tout ce que nous sommes, y compris nos peurs, nos péchés et notre foi telle qu’elle est, déjà bien réelle et encore faible. Jésus nous transforme ensuite par la puissance de sa parole mais il nous reçoit, là où nous en sommes. Ne croyons jamais que notre état spirituel nous rende inaptes ou indignes de prier Jésus. N’attendons pas d’avoir la foi d’un grand saint : Jésus aime à s’entourer de faibles et de pécheurs. Présentons-nous à lui tels que nous sommes, en lui rendant grâce pour tout le chemin parcouru et en lui demandant qu’il nous fasse encore grandir.
La nuit a un autre sens : c’est un moment particulièrement propice au silence et à l’écoute. Dans la journée, mille affaires et le bruit du monde nous détournent d’écouter le Seigneur. De fait, Nicodème va écouter longue- ment le Seigneur lui parler dans le silence. C’est pourquoi les moines aiment se relever la nuit pour prier.
La nuit a un troisième sens. Il y a quelque chose de mystérieux dans notre écoute du Seigneur, qui dépasse ce que nous pouvons en comprendre. Il en est de même pour notre prière, qui vient de l’Esprit Saint et nous conduit là où nous ne savons pas.
Jésus parle à Nicodème de notre nouvelle naissance par le baptême. Toute écoute véritable de Jésus débouche sur une fécondité, mais il faut toute une vie pour que la grâce du baptême se déploie pleinement et nous prenne tout entier. Chaque fois que nous écoutons le Seigneur, notre nouvelle naissance se déploie davantage. Par notre présence à lui, nous travaillons à ce que d’autres rejoignent l’Église.
Comme la Vierge, Nicodème interroge son interlocuteur sur sa parole. La question est fort proche : « comment cela peut-il se faire » ? Pourtant, la réponse de Jésus débouchera sur un reproche : « Tu es un maître et tu ne connais pas ces choses-là » ? Jésus dénonce un manque de foi chez Nicodème qui n’existait pas chez la Vierge, car il sait discerner le fond des cœurs. Écouter le Christ, c’est aussi se soumettre à son jugement sur nous, écouter la dénonciation de nos péchés. Dans cet évangile, écouter sera de nouveau crucifiant. Mais ce reproche du Christ à Nicodème ne l’empêche pas de prendre sa question au sérieux et d’y répondre longuement.
Selon Wikipédia, le nom de Nicodème a donné « nigaud » parce que ses questions sont idiotes. C’est un contresens car ses questions sont au contraire tout-à-fait pertinentes. « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » La réponse est oui. Par le baptême, nous entrons dans le sein de notre nouvelle mère pour naître une seconde fois à la vie de l’Esprit. Ne craignons pas que nos questions semblent stupides.
Nous avons eu besoin d’entrer dans le sein de notre nouvelle mère, l’Église, pour renaître de l’eau et de l’Esprit. Cela réaffirme la nécessaire communion avec l’Église. Nous lui devons notre baptême, notre confirmation, l’eucharistie, votre mariage, mon sacerdoce. L’Église en général ou les églises particulières (paroisses, mouvements) ont tous les défauts qu’on veut, il n’en demeure pas moins vrai que c’est l’Église réelle, telle qu’elle est, qui m’a donné les sacrements, qui m’a permis de renaître d’en haut. Les défauts de l’Église ne doivent donc pas m’empêcher d’être en communion avec elle, là où je vis.
Jésus répond donc par la nécessité du baptême et ajoute quelque chose de mystérieux : « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit ». Celui qui est en communion avec le Christ par son Esprit est littéralement libre comme l’air. Il échappe aux contraintes de ce monde, à l’esclavage du péché. Il
accomplit aussi des choses que ce monde ne peut pas comprendre. Le monde ignore où va l’Église quand elle défend le mariage, la fécondité, la famille. Il ignore où vous allez quand vous décidez de rester fidèle à votre mariage bien qu’il ne se vive plus dans la chair. Ce faisant, vous agissez dans l’Esprit, vous allez là où va l’Esprit, vers une communion plus profonde et plus réelle. En suivant le Christ, en vivant de l’Esprit, nous acceptons du même coup de vivre une certaine incompréhension du monde, d’être soumis au feu roulant des questions intrusives et des sarcasmes. Cela fait partie de la vie chrétienne. C’est douloureux ou surtout lassant, mais il faut demander à l’Esprit qu’il nous donne la force de le vivre en communion avec Jésus, qui n’a cessé d’être mis à l’épreuve par ceux qui refusaient sa manière de vivre.
Nicodème ne comprend pas comment cela va se faire. Il n’a pas encore pleinement vécu sa conversion. C’est pourquoi Jésus tourne son regard vers lui et dit que nul ne peut avoir la vie éternelle sinon en lui, nul ne peut monter au ciel sans être uni à lui. Jésus est venu pour être la tête de l’Église qui est son corps, pour n’être qu’un avec l’Église et il nous faut nous unir à lui pour être sauvés et travailler au salut du monde.
Ce passage parle spécialement de ce que vous vivez par votre fidélité à votre mariage. Nul ne monte au ciel que celui qui en est descendu, cela signifie aussi que nous n’accompagnerons pas le Christ au ciel si nous n’acceptons pas de descendre avec lui d’abord. Inversement, celui qui a accepté de descendre avec Jésus est assuré de monter avec lui, c’est-à-dire d’obtenir la vie éternelle mais dès ici-bas de voir sa vie porter du fruit.
Descendre avec lui, c’est nous humilier. Nul ne vit avec Jésus sans être humble comme lui. Mais l’humilité n’est pas le mépris de soi, le fait de se trouver nul. C’est se reconnaître pécheur et admettre que nous ne sommes capables de rien sans Jésus. L’humilité consiste donc aussi à rendre grâce pour les dons reçus et tout le bien que nous voyons dans nos vies.
Descendre avec lui, c’est aussi nous faire serviteurs de nos frères comme Jésus a lavé les pieds de ses disciples. Il y a une profonde humilité à accepter de servir les plus faibles. Cela peut se faire dans les innombrables services d’Église qui existent dans vos paroisses, mais cela commence en famille, par le service de l’ancêtre qui faiblit, de l’adolescente en crise, du parent malade.
Toutes les contrariétés de la vie qui nous arrivent sont autant d’occasion de descendre avec lui qui a vécu la croix. Ainsi, l’épreuve qui a frappé votre mariage peut vraiment être vécue comme une crucifixion, comme une union spéciale à la Passion de Jésus, lui qui est mort rejeté par son peuple. Cette union spéciale vous assure que vos vies portent du fruit, en particulier pour tous ceux que vous aimez. Vos épreuves élèvent ceux que vous aimez comme la croix a élevé le Christ.
« Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » C’est le cœur du texte, de ce qu’il faut écouter. L’incarnation a été motivée par l’amour. Lorsque nous écoutons le Christ, c’est toujours l’amour qui nous parle. Un amour inouï, plus grand que tout et, surtout, gratuit. Nous aimer n’a rien rapporté à Jésus, sauf sa croix. Jésus ne nous aime pas parce que nous faisons des tas de choses pour lui. C’est déjà son amour pour nous qui nous donne d’agir droitement et de participer à l’apostolat de l’Église. Il nous aime parce que l’amour aime aimer. « Dieu est amour, (...) et l’amour ne se veut pas d’autre fruit que lui- même. Son vrai fruit c’est d’être. J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer » dira saint Bernard4. Cet amour est le fondement du sacrement de mariage, indissoluble parce que l’amour dont Jésus aime l’Église est inconditionnel et gratuit.
Laissez résonner cet amour, écoutez Jésus vous dire qu’il vous aime, qu’il donne sa vie pour vous. Il n’est pas mort pour une masse informe où tous sont interchangeables, mais pour chacun d’entre nous. Il disait à sainte Gertrude dans une extase : « j’accepterais d’endurer aujourd’hui pour toi seule tout ce que tu peux voir que j’ai enduré jadis pour le monde entier »5. Demandez-vous où vous en êtes de votre foi dans cet amour. Vous y croyez, sinon vous ne seriez pas là, mais nous n’y croyons jamais assez. Un amour blessé comme l’a été le vôtre peut, par exemple, rendre difficile de croire encore en un amour inconditionnel et gratuit. Demandez-en la grâce. Pour ce faire, regardez la croix. Choisissez un crucifix qui vous parle, que vous trouvez beau, et contemplez-le. Vous pouvez même le toucher, l’embrasser, faire tout ce qui vous aidera à éprouver combien cet amour pour vous est concret.
Dieu nous a aimés le premier, il nous a aimés avant notre existence puisque c’est par amour qu’il nous a créés. Notre amour à nous, envers Dieu ou le prochain, ne peut être qu’un écho de l’amour de Dieu pour nous. Dieu est amour. Nous, qui ne sommes pas Dieu, ne sommes pas capables d’amour. Nous ne pouvons aimer qu’en nous laissant remplir par l’amour dont nous sommes aimés au point de déborder sur les autres. C’est pourquoi l’humilité est la condition de l’amour. Il faut reconnaître humblement son incapacité à aimer par ses seules forces pour pouvoir aimer par la force de Dieu.
La fin du passage nous parle du jugement. Écouter le Christ comporte toujours une part de jugement. Ce jugement est solennelle- ment annoncé mais en même temps il est comme vidé de son sens puisqu’il est dit que « Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » La suite du texte éclaire ce paradoxe. Le jugement, c’est la venue du Fils de Dieu dans ce monde, lui qui est la lumière qui révèle tous nos actes. Ceux qui acceptent de s’en approcher n’ont rien à craindre d’elle. La lumière du Christ révèlera leurs péchés, qui seront pardonnés parce que c’est une lumière d’amour. Le jugement sera donc pour eux tout entier pardon. Ceux qui refusent de venir à la lumière s’enferrent car ils ne veulent pas se reconnaître pécheurs. Refusant le pardon offert, ils scellent eux-mêmes leur jugement, qui commence dès maintenant. C’est dès à présent que nous pouvons décider d’accepter de nous reconnaître pécheur ou non, de laisser la lumière du Christ dénoncer nos péchés et nous pardonner. Cela implique qu’il n’y a pas de pleine communion avec Jésus sans passer par le sacrement de la confession.
La révélation de notre péché peut nous déstabiliser, créer en nous un réflexe de culpabilité. Jésus ne révèle pas nos péchés par cruauté, ou pour poser une quelconque limite à son amour envers nous. Son amour révèle nos péchés pour nous en libérer et pour que la gratuité de l’amour brille encore davantage.
En particulier, Jésus révèle votre part de péché dans la rupture de votre mariage. Une rupture est toujours liée à des torts partagés, il y aurait de l’orgueil à se croire innocent. Ce péché-là peut être particulièrement lourd à porter, c’est pourquoi il faut demander à la miséricorde du Seigneur de pardonner mais aussi de consoler. Car cette miséricorde vous donne de demeurer fidèle, malgré tout, au sacrement reçu.
En venant à la lumière du Christ pour être pardonnés de nos péchés, nous venons aussi demander la force de pardonner aux autres. Le pardon est par excellence l’acte de Dieu, car il dépasse nos humbles forces. Il ne faut pas s’étonner d’avoir du mal à pardonner, il faut en demander la force à Dieu. Une première étape consiste à demander à Dieu qu’il pardonne leurs péchés à ceux qui nous ont fait du mal. Pardonner à autrui, c’est aussi demander pour lui la grâce qu’il demande pardon à Dieu et à vous quand il y sera prêt.
Ce texte nous apprend à écouter Jésus, qui nous révèle l’amour dont nous sommes aimés, à nous offrir à cet amour pour devenir nous-mêmes capables d’aimer. Cet amour révèle nos péchés pour les pardonner ; nous ne devons donc pas craindre la révélation de nos fautes.
2e partie de la prédication du Père Matthieu Villemot, enseignant à l’Ecole Cathédrale
1 Saint Bernard, Sermon 83 sur le Cantique des Cantiques
2 Sainte Gertrude d’Helfta, Héraut de l’amour divin