Rappelons d’emblée que la Communion Notre-Dame de l’Alliance est née dans le silence d’un monastère, celui de Timadeuc. Le silence est pour ainsi dire le berceau qui a permis aux deux fondateurs, Paul Salaün et Anne-Marie Le Marquer, accompagnés d’un moine, d’accueillir le dynamisme de Dieu dans leurs cœurs pour fonder la Communion. À l’approche du jubilé des 40 ans, il apparaît essentiel pour la suite de la vie de la Communion de transmettre ce caractère dynamique du silence à chacune des trois récollections annuelles, ainsi qu’aux récollections découvertes. Il en va de la responsabilité de chacun d’y veiller et d’en vivre pour que Dieu puisse continuer, à travers la Communion, à fortifier les croyants connaissant l’épreuve de la séparation dans leur mariage sacramentel.
Un travail a déjà été réalisé en ce sens, notamment à la retraite annuelle avec son nouveau déroulé distinguant les premières 24h pour échanger fraternellement, et les 3 jours suivants pour savourer la Parole de Dieu dans le silence. Nous avons déjà pu en constater les effets positifs. En 2021, j’ai personnellement consulté tous les Conseillers Spirituels Régionaux pour leur soumettre la nécessité de respecter une période conséquente de silence aux trois récollections annuelles. En janvier dernier, par vidéo-conférence, les modérateurs en ont partagé le fruit pour tous les groupes régionaux de la Communion en demandant d’inscrire dans le programme des récollections une période de silence, quel que soit le lieu où elle est organisée, à partir du 1er enseignement du samedi après-midi, jusqu’au déjeuner du dimanche non inclus, y compris durant le dîner du samedi soir, et le petit-déjeuner du dimanche matin.
Pourquoi le respect du silence à la Communion est, et sera toujours un combat pour soi-même et pour le faire respecter dans chaque groupe régional ?
Parce que, fondamentalement, le silence fait émerger dans le champ de la conscience le dynamisme intérieur profond de la mémoire qui reste sinon dans le champ de l'inconscient. Or, par le simple fait de se trouver en récollection de la Communion, les zones douloureuses de la mémoire marquées par l’épreuve de la séparation sont réveillées. Il est donc naturel d’être tenté d’échapper à la dimension douloureuse présente en la mémoire par des échanges bruyants. Cependant, nous sommes invités à reconnaître que la dimension fraternelle nourrie par ces échanges bruyants, au cours des récollections, concurrence la relation avec Dieu nourrie dans le silence. « Il en va du silence, dit Benoît XVI, comme de la solitude : on n'aime à être seul, [ou dans le silence à plusieurs] que pour jouir d'une compagnie plus désirable ; on ne se livre au silence que pour jouir d'un colloque intérieur (…). Tout ce qui va dans un autre sens, si grand que ce soit, est cependant secondaire, voire très bas et en tout cas nuisible ». Autrement dit, moins il y a de silence au cours des récollections, et plus la communion fraternelle est appauvrie de sa dimension divine. Autant dire que la Communion se fragilise de plus en plus.
Reconnaître que le silence est un combat ne suffit pas. Il faut aussi en affirmer la dimension positive qui se révèle à partir de cette promesse de Dieu au prophète Ézéchiel : « j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (36,26 ; cf. 11,19). Pour ce faire, regardons le cheminement du prophète Elie sur la montagne du Sinaï. Dieu s’y révèle au cœur de l’humain de façon unique, après s’être révélé le Dieu de l’Alliance avec le peuple d’Israël sur cette même montagne du Sinaï par la médiation de Moïse (Ex 19).
Elie est à la fois un homme de Dieu exceptionnel et un homme rempli d’une violence extrême. En effet, il égorge lui-même les 850 prophètes, hommes et femmes, des fausses divinités Baal et Ashéra après le jugement de Dieu manifesté en sa faveur par le feu descendu du ciel sur le sacrifice préparé à cet effet (1 R 18,40). Le cœur d’Elie est donc partagé. Son zèle envers Dieu est ambigu ; il cache un désir inavoué de toute-puissance idolâtrique. Ce qui se manifeste très vite après ce véritable massacre. Car, sitôt après être menacé de mort par la reine Jézabel suite à ce massacre, lui, l’homme de Dieu déjà reconnu par de puissants miracles, s’effondre complètement et sombre dans une profonde dépression au point de souhaiter la mort (1 R 19,3.4). C’est alors que Dieu intervient par son ange pour lui donner du pain « descendu du ciel » et lui permettre de cheminer 40 jours dans le silence du désert avant d’arriver à la montagne de Dieu : l’Horeb, le Sinaï.
Et c’est en pénétrant dans « la grotte », désignée par l’article défini pour signifier qu’elle est unique et connue de chaque lecteur, que Dieu interpelle Elie en lui demandant d’en sortir pour assister à son passage (1R 19,11). Or, avant qu’Elie ne sorte effectivement de « la grotte », il subit trois cataclysmes absolument ravageurs. À chaque fois, il est précisé que le Seigneur n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Autant dire que dans une grotte, celui qui subit de tels cataclysmes n’a aucun chance d’en sortir vivant, ou en tout cas, d’en sortir comme il en est entré. Cette remarque est d’autant plus importante si nous identifions « la grotte » au cœur du prophète. Et que ce cœur est emblématique de celui de chaque humain avec lequel Dieu cherche à faire Alliance selon les mots d’Elie : « Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance (…) ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie » (1 R 19,10).
Le prophète Elie arrive donc à cet état de brisement intérieur face à Dieu que décrit David dans le psaume : « Si j’offre un sacrifice tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé » (Ps 50,18.19). C’est alors que Dieu peut enfin (!) révéler sa présence au cœur de l’humain dans une expérience traduite par une formule mystérieuse : « et après le feu, le murmure d’une brise légère » qui se traduit littéralement « la voix d’un fin silence » (1 R 19,12). Le texte biblique précise alors que Dieu est bien présent dans cette « voix d’un fin silence » contrairement aux événements bruyants et destructeurs qui ont précédé : « Aussitôt qu’il l’entendit, Elie se couvrit le visage d’un manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Alors il entendit une voix qui disait : « Que fais-tu là, Elie ? » (1 R 19,13). Nous apprenons donc d’abord que cette révélation de Dieu se déroule bien à l’intérieur de la grotte, symbole du cœur humain. Nous apprenons aussi qu’il s’agit de Dieu en personne puisqu’Elie se couvre immédiatement le visage pour ne pas le voir. Car, « nul ne peut me voir et rester en vie » dit Dieu à Moïse lui ayant demandé de contempler sa gloire (Ex 33,20).
Elie vit alors une véritable transformation de cœur le libérant de sa violence ravageuse et mortifère. Ce qui fait écho à l’expérience que décrit le psalmiste : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux (…). Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère » (Ps 130,1.2). Dans le silence, Dieu non seulement se révèle au cœur de l’humain, mais il révèle à l’humain son propre cœur d’enfant pour le guérir de toutes ses dérives mortifères ; qu’elles soient d’ordre dépressive ou de toute puissance. Comme une responsable de groupe en a témoigné aujourd’hui, les mémoires liées à notre séparation conjugale sont en général incomparablement moins douloureuses que certaines de nos mémoires d’enfant ; elles ont en tout cas moins de répercussions négatives sur la façon dont nous nous identifions nous-mêmes, bien que nous nous trouvions secrètement indignes d’être aimés et d’aimer.
Une autre expression d’un psaume, traduite de l’hébreu, est révélatrice de la valeur du silence pour laisser Dieu se révéler en nous et renouveler son Alliance avec nous : « Le silence est louange pour toi, ô Dieu » (Ps 64,2). Là encore, le traducteur de la bible liturgique y a sans doute perdu son latin puisqu’il traduit ce verset : « Il est beau de te louer, Dieu dans Sion ». Ce verset apparemment intraduisible exprime le fait que le croyant qui contemple Dieu dans le silence de son cœur glorifie Dieu en vérité et lui permet d’accomplir ce que Lui seul peut accomplir : transformer le cœur de pierre en cœur de chair. L’effet de ce silence de louange concerne particulièrement les membres de la Communion attaché à la fidélité à leur vœu de mariage, puisque le psalmiste continue en affirmant dans le même verset : « et l’on accomplira le vœu (qu’on t’a fait) » (Ps 64,2). Autrement dit, en permettant à Dieu de manifester sa toute-puissance de guérison et de transformation au plus profond du cœur humain, celui-ci devient capable d’accomplir son vœu de fidélité qui est, aux yeux du monde, inhumain. Et tout cela se réalise dans le silence !!!
Pour conclure, je vous pose la question à vous, responsables des groupes régionaux de la Communion : n’êtes-vous pas responsables, avant tout, devant Dieu, de permettre à vos frères et sœurs de la Communion, de vivre cette épreuve d’Elie au plus profond de leur cœur par le silence à chaque récollection pour y laisser Dieu opérer sa guérison et sa transformation ? Et si vous baissez les bras pour imposer le silence sous prétexte de ne pas vouloir froisser l’un ou l’autre, ou affronter des remarques acerbes, pensez-vous que Dieu ne puisse pas vous en demander compte ? J’ajoute, qu’en complément du silence, il apparaît crucial de vivre à chaque récollection un temps d’adoration eucharistique, par exemple le samedi soir. Pendant les récollections découvertes, ce temps d’adoration peut très bien se combiner avec les témoignages déjà prévus. N’est-ce pas à ce trésor de l’Église qu’est le très Saint Sacrement que vous puisez les forces surnaturelles nécessaires pour « accomplir le vœu » de votre mariage ? Alors, pourquoi ne pas le mettre à l’honneur lors de la veillée de vos récollections au cœur du silence ? Et surtout, lors des récollections découvertes ?
Que le Seigneur soit béni à jamais, lui qui vous appelle particulièrement à partager l’héritage des saints dans sa lumière, puisque vous êtes ses enfants chéris avec votre cœur brisé et broyé.
Abbé Grégoire Cieutat, Conseiller Spirituel Général
de la Communion Notre-Dame de l’Alliance
Samedi 7 mai 2022, aux membres du Conseil