A l’automne 2011, j’entreprends un projet qui me tient à cœur depuis longtemps, le pèlerinage de Saint Jacques. Mon but, étant libéré de mes obligations professionnelles et, par la force des choses, éloigné de mes enfants, est de prendre le temps d’un cœur à cœur prolongé avec mon Dieu, de Le suivre comme Il nous y engage fréquemment à travers les Evangiles. Accessoirement, à un tournant de ma vie professionnelle, j’ai besoin de discerner où Il veut me conduire.
Je pars donc de chez moi, à Saint-Frégant le 12 septembre 2011, en pleine tempête bretonne, juste après que ma première fille m’ait annoncé ses prochaines fiançailles avec un garçon qui habite à 20 minutes de chez nous…
L’objectif de ce premier tronçon est Saint-Jean-d’Angély, que j’atteindrai 28 jours plus tard avec 730 km dans les jambes, à peu près autant de chapelets et surtout avec une grande paix intérieure. Le rythme est très régulier : lever avec le soleil vers 07h00, départ vers 08h30, pause pique-nique vers 13h00, arrivée vers 16h00 dans un gîte, une chambre d’hôte ou mieux dans une famille d’accueil ; ensuite installation, douche, soin des pieds (peu gêné par les ampoules, j’ai eu une tendinite sur l’avant de la cheville droite), échange avec les hôtes, préparation des étapes suivantes et du repas, dîner, puis dodo vers 22h00 pour un repos bien mérité.
Globalement la journée est divisée en deux, le temps de marche, entre six et huit heures seul et disponible pour contempler, faire oraison, prier, et souffrir un peu parfois, sans oublier de prêter attention au « jeu de piste » permanent que constitue le chemin, avec ses embûches, ses indices souvent discrets, et ses signes qui demandent une attention de tous les instants. A l’étape commence le second temps, celui de la pause et de la rencontre.
Le plus difficile finalement est de se décider à partir car mille et une raisons vous poussent à ajourner : trop tôt, trop tard, pas capable, pas le temps, pas raisonnable, etc. mais quel bonheur, quelle liberté une fois les amarres larguées. Les soucis du quotidien s’envolent, une joie pure et sereine vous enveloppe, et l’abandon si difficile à concrétiser s’avère source de grâces nombreuses, d’un bien-être inexprimable, et d’une confiance pleine d’Espérance, à la hauteur de l’acte d’abandon posé. Après ces moments de bonheur intérieur et solitaire, le temps de la rencontre est l’occasion de partager, extérioriser et expérimenter la charité envers le prochain. L’attention et l’accueil reçus, la chaleur d’un dîner familial, la profondeur des échanges, l’intensité d’une prière du soir en famille, sont autant d’instants magiques et inoubliables, et ainsi des amitiés naissent en l’espace d’une soirée.
Bien sûr, ça n’est pas ainsi tous les jours, mais ce sont là les souvenirs qui demeurent, et qui chauffent le cœur. Après Saint-Jean-d’Angély, j’ai pu rendre visite à ma sœur carmélite à Cognac, ce qui a couronné ce premier tronçon.
Un an plus tard, alors que ma fille aînée s’est fiancée puis mariée, que j’ai pu passer Noël chez ma femme avec presque tous les enfants, que j’ai adhéré à la Communion, que Papa s’en est retourné à Dieu dans la paix et la ferveur, je repars de Saint-Jean le 24 septembre 2012 pour achever mon pèlerinage. Après le chemin breton, j’ai donc emprunté le chemin de Tours jusqu’à Bayonne, puis le « camino del norte » qui longe la côte nord espagnole, avant d’obliquer au sud-ouest à Oviedo sur le « camino primitivo », qui rejoint Santiago à travers les montagnes d’Asturies et de Galice.
Moins pratiqué que le camino Francès, le camino del norte est cependant très beau, et malgré d’incessantes montées et descentes, il permet de rester en contact avec l’océan, ses sentiers côtiers et ses plages magnifiques, sans être gêné par la foule… En Espagne, le camino est plus institutionnel qu’en France et les haltes se font dans des « alberge municipale » où il n’est pas besoin de réserver, où l’on peut se doucher, dormir et parfois préparer son repas, pour environ 5€. En conséquence on y rencontre moins d’hôtes mais plus de pèlerins, avec qui on peut partager, dîner, voire pèleriner selon les circonstances et les affinités.
Après 50 nouvelles étapes d’en moyenne 25 km, et la traversée des montagnes d’Asturies dans des conditions assez rudes de solitude, de froid, de vent et de pluie, j’ai franchi mon 2000ème kilomètre en arrivant à Santiago le 12 novembre, sous un soleil automnal, le cœur en joie et l’âme en paix.
Après ces moments intenses et simples d’activité saine du corps et de sanctification quotidienne de l’âme, l’atterrissage dans le monde et le retour aux préoccupations domestiques n’est pas facile, mais la racine plantée au ciel est plus solide et les grâces sont là, pour poursuivre le chemin sereinement et en confiance.
Ayant appris mon élection à la charge de coresponsable du groupe Bretagne pendant le pèlerinage, j’ai été doublement en étroite communion avec vous tous et puis vous assurer de mes prières, comme j’ose compter en retour sur les vôtres. Malgré la longueur du texte, il y aurait encore beaucoup à dire, et si vous avez des questions, je suis à votre disposition pour tâcher d’y répondre… Ultreia (1) et bien fraternellement,
(1) Salut médiéval de ralliement des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, expression du dépassement physique et spirituel (Ndlr)