ADF 349 PDL 1Qui ne connaît la croix de Lorraine, cette croix à double traverse devenue, par choix du général de Gaulle, symbole de la Résistance et de la France libre ? Mais la véritable histoire de cette Croix est sûrement moins connue… sauf en Anjou ! En tout cas, ce fut une découverte pour beaucoup d’entre nous lors de la journée de retrouvailles organisée pour le groupe Pays-de-Loire le dimanche 26 juillet. A l’initiative de notre nouveau conseiller spirituel, le père Benoît Pierre, nous avions rendez-vous dans la petite ville de Baugé, célèbre pour son château, si cher au "bon roi René", duc d’Anjou au XVe siècle, et pour son ancien Hôtel-Dieu dont l’apothicairerie du XVIIe, classée monument historique, est l’une des plus riches de France. Mais un trésor autrement exceptionnel nous attendait, humblement caché au 8, rue de la Girouardière, chez les "Filles du Cœur de Marie".

C’est là que nous nous sommes retrouvés pour la messe du dimanche matin. Mêlés à l’assemblée paroissiale, nous étions dix-sept, venus de tous les coins de notre vaste région. Pour honorer ce rendez-vous, certains s’étaient levés aux aurores et avaient fait plus de deux heures de route ! La chapelle se remplit rapidement et la messe commença, célébrée par trois prêtres, dont le nôtre, et joliment animée par les religieuses. A la fin de la messe, la Mère supérieure annonça qu’en ce jour de la sainte Anne, toute sa communauté rendait grâce pour la fondatrice, Anne de la Girouardière, qui vécut dans cette ville de Baugé de 1740 à 1827. Elle évoqua avec émotion quelques aspects touchants du charisme et de l’œuvre de cette grande dame. Nous allions en savoir davantage quelques minutes plus tard quand la pétillante sœur Fabienne nous aurait tout raconté dans une salle à part.

Nous voilà donc tout ouïe pour ne rien perdre des explications de la sœur et de la vidéo qu’elle nous présente. Nous apprenons que nous sommes dans la maison-mère et le noviciat de la congrégation fondée ici-même en 1790 et que les Filles du Cœur de Marie répondent à une double vocation : se faire adoratrices et servantes, dans le mystère de la "compassion de Marie au pied de la Croix". « Ne sachant comment marquer ma gratitude pour l’eucharistie, je résolus de servir le Christ dans les pauvres » avait confié Anne de la Girouardière, lorsqu’à la veille de la Révolution française, elle avait prononcé ses vœux religieux, renonçant à sa condition mondaine pour s’occuper de ceux qu’au temps de la Terreur on appelait « les incurables ». Aujourd’hui, c’est toujours auprès de porteurs d’un handicap mental, jeunes ou adultes, et auprès de personnes âgées et démunies que la communauté continue la mission.

Notre curiosité grandit encore quand sœur Fabienne nous cita les dernières paroles de Mère Anne, la fondatrice : « La Croix et les pauvres sont les deux trésors qu’en mourant je lègue à mes Filles ». Mais de quelle Croix parlait-elle… ? Et ce fut la grande découverte du jour : depuis octobre 1790, en pleine Révolution, les Sœurs conservent dans leur chapelle une très précieuse relique, un important morceau de la Croix du Christ, le onzième de toute la chrétienté de par ses dimensions et la quantité de bois sacré. Mais comment cet insigne trésor a-t-il pu arriver jusqu’ici ? Cette relique est-elle authentique ? Peut-on la voir… ? La vidéo nous raconte l’épopée de cette "vraie Croix d’Anjou" depuis le Golgotha jusqu’à Baugé, et comment Anne de la Girouardière réussit à la sauver des mains des révolutionnaires. Puis sœur Fabienne nous montre, avec mille précautions, un petit parchemin tout jauni, datant des croisades du XIIIe siècle et censé prouver l’authenticité du précieux bois.

Est-ce en raison de notre émerveillement tout recueilli, ou bien par l’intercession de notre Père Benoît ? En tout cas, une grâce inespérée nous fut offerte : la sainte Croix, sortie tout exprès pour nous de son reliquaire ultra protégé, fut apportée dans la chapelle, et nous avons pu nous approcher tour à tour pour l’admirer et la vénérer. Instant d’émotion pour nos âmes bouleversées… !

Mais on ne peut raconter cette riche journée sans évoquer l’accueil chaleureux que nous réservaient les parents du Père Benoît. Car oui, c’est un enfant du pays. Quelle bonne surprise pour ceux qui ne le savaient pas ! Et ses parents nous invitaient à goûter une délicieuse "soupe angevine" et à pique-niquer dans leur parc ombragé. Un vrai paradis ! Que d’échanges pendant cet apéritif si convivial ! Que de partages entre nous qui avions été privés des retrouvailles de printemps puisque la récollection n’avait pas eu lieu !... Le pique-nique se termina par un régal dont nos papilles se souviennent encore : notre Anne du Mans, en l’honneur de sa sainte patronne, avait prévu le dessert. Et quel dessert ! De délicieux sorbets bio, fruités et parfumés. Gourmets et gourmands en ont redemandé !... Merci Anne et vive sainte Anne !

Après ce repas-partage, quelques-uns restèrent tranquillement se reposer sur place, à l’ombre des grands arbres, tandis que les autres, guidés par le père Benoît, s’offrirent une promenade vers le plan d’eau du Moulin de Fougère, situé au-delà du camping du Pont des Fées. Des noms qui font rêver… ! Mais le temps était compté car nous voulions être de retour à la chapelle avant les vêpres pour un temps de prière entre nous. Et là, quelle grâce pour moi ! Nous étions à la veille de mon anniversaire de mariage, cela n’avait pas échappé à l’attention bienveillante de nos chères responsables qui me proposèrent, avec l’accord du Père Benoît, de renouveler mon Oui, dès ce jour, au sein du groupe. Nous avons suivi le rituel du ROC de nos retraites d’été sauf que je fus la seule à prononcer à haute voix, devant le Christ en croix, le Oui de mon mariage à Salvador. Est-ce plus facile quand les années ont passé ? Non, à chaque fois c’est un saut dans la foi. Mais se sentir entourée et portée par la prière de frères et sœurs qui vivent, comprennent, font et refont ce même choix, quel cadeau !

Nous nous sommes séparés après les vêpres. Certains allaient se retrouver dans peu de jours pour la retraite à Notre-Dame du Laus, les autres devraient attendre la récollection d’automne. Nos au revoir ne sont que provisoires mais tout de même, comme au soir d’une belle réunion de famille, on éprouve parfois un petit pincement à quitter ces frères et sœurs que la Providence nous a donnés. Alors on se souhaite bonne route, le cœur débordant d’amitié. Et on se promet de se retrouver spirituellement dans la prière, avec "Marie au pied de la Croix", celle du Christ bien sûr, aujourd’hui si pieusement vénérée en son humble relique, la vraie Croix d’Anjou ! 

Histoire de la "vraie Croix d’Anjou" du Golgotha à la Lorraine

En 327 ou 328, l’impératrice Hélène, mère de Constantin 1er, se rend à Jérusalem et organise des fouilles autour du Golgotha. Sous les débris entassés dans une fosse, trois croix sont découvertes. L’une d’elles permet la guérison d’une femme sur le point de mourir, ce qui l’authentifie comme vraie croix du Christ. Hélène fait alors partager le bois entre son fils Constantin et le patriarche de Jérusalem. Au fil des âges, le christianisme étant devenu la religion officielle de l’Empire romain, le bois de la croix sera peu à peu divisé en une multitude de morceaux dispersés dans toute la chrétienté.

 En 1241, Jean d’Alluye, seigneur angevin rentrant de croisade, contribue à la défense de la Crète. En récompense, il reçoit de Thomas, évêque de Crète, des parcelles du bois sacré, assemblées en forme de croix à deux traverses, la plus petite rappelant le titulus ordonné par Pilate : « Jésus le Nazaréen Roi des Juifs ». Par la quantité de bois, ce fragment de la Vraie Croix s’avère aujourd’hui le deuxième de France, après celui conservé à Notre-Dame de Paris, et le onzième du monde chrétien.

De retour en Anjou, Jean d’Alluye cède la relique à l’abbaye cistercienne de la Boissière à Dénezé-sous-le-Lude où il fait édifier une chapelle reliquaire, les moines étant chargés de veiller à ce que, jour et nuit, la Croix soit entourée de lumière.

 ADF 349 PDL 2Puis vient la Guerre de Cent Ans. Les pillages incessants des Anglais et des mercenaires routiers ravagent les campagnes angevines. La précieuse relique est confiée au duc d’Anjou, Louis 1er, qui la met en sécurité dans la chapelle de sa forteresse, le château d’Angers. Commence alors une belle histoire entre cette "Croix d’Anjou" et les très pieux souverains angevins qui vont en faire le symbole de leur dynastie. Louis 1er la fait broder sur sa propre bannière et richement orner de perles et pierres précieuses par les orfèvres de son frère, le roi de France Charles V. Notons aussi que la croix figure en deux endroits sur la célèbre tenture de l’Apocalypse, commandée par le même duc d’Anjou en 1373 et conservée aujourd’hui au château d’Angers.

De génération en génération, la vénération de la Croix se transmet au sein de la Maison d’Anjou. René 1er, petit-fils de Louis 1er, naît au château en 1409. Il grandit dans le culte de la sainte relique qu’il fera figurer sur ses armes, ses pièces d’argenterie et ses monnaies. Mais voilà que ce "bon Roi René" d’Anjou, par son mariage avec Isabelle de Lorraine, devient en 1431 duc de Lorraine. Et c’est ainsi que la Croix d’Anjou va se retrouver dans les armoiries des ducs de Lorraine. René II, petit-fils du Roi René, en fera l’emblème de la Lorraine lorsqu’en 1477, devant Nancy, il sera vainqueur de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne.

On comprend mieux pourquoi, quelques siècles plus tard, en 1940, les amiraux du général de Gaulle, en particulier son vice-amiral Muselier, fier d’être Lorrain, lui proposèrent d’opposer à la croix gammée cette autre croix, riche d’histoire et de foi chrétiennes. Et voilà comment la Croix d’Anjou, devenue Croix de Lorraine, devint signe de ralliement des forces alliées et symbole de la France libre. 

Mais revenons à l’Anjou du XVe siècle, là où nous avons laissé notre sainte relique. 

ADF 349 PDL 3 En 1456, la Guerre de Cent Ans enfin achevée, la Croix d’Anjou, désormais parée d’étincelants saphirs et rubis, revient à l’abbaye de la Boissière. Elle y restera paisiblement vénérée jusqu’à la Révolution de 1789. Déclarée alors bien national comme tous les biens du clergé, elle est confisquée par le pouvoir révolutionnaire et mise en vente aux enchères le 3 septembre 1790 dans l’église de Baugé. Anne de la Girouardière, qui venait de fonder la communauté des Filles du Cœur de Marie et l’Hospice des Incurables, résolut aussitôt d’acheter l’insigne relique pour la sauver de mains impies. Elle réussit à rassembler la somme fabuleuse de 400 livres, ce qui correspondait à l’époque au salaire annuel d’un ouvrier moyen. La Croix lui fut donc attribuée.

Le 2 octobre 1790, jour de fête pour tous les fidèles de Baugé ! Riches et pauvres se rassemblèrent dans l’église pour participer à la translation solennelle de la Croix vers la "chapelle des Incurables". L’abbé René Bérault, curé de Baugé, conseiller spirituel et cofondateur de la communauté, s’adressa ainsi à l’assemblée : « Cette Croix a sa place ici, mes frères, parmi vous qui souffrez dans votre corps et votre esprit. Elle nous rappelle que Jésus a souffert pour nous sauver, qu’Il nous a aimés à en mourir… »

Dès le mois suivant, l’abbé Bérault sera arrêté pour son refus de prêter serment à la Constitution. Emprisonné à Angers, puis libéré par les Vendéens et recherché par les patrouilles révolutionnaires, il sera recueilli, caché et soigné par les sœurs. Il mourra dans leur hospice le 21 août 1794 et sera inhumé dans le chœur de leur chapelle.

Anne de la Girouardière vivra encore 33 ans, dévouée jusqu’au bout à son œuvre et à l’adoration du Saint Sacrement. En août 1821, elle aura la joie de voir les "Constitutions des Filles du Cœur de Marie" approuvées par le pape Pie VII. C’est le 10 décembre 1827 qu’elle passera de ce monde à la Vie éternelle. Elle avait alors 87 ans et sa communauté comptait déjà plus de 50 religieuses qui prenaient soin d’une centaine de pauvres.

 Conclusion : que personne ne passe à Baugé-en-Anjou sans s’arrêter chez les Filles du Cœur de Marie ! L’une d’elles vous recevra et vous conduira vers la "Vraie Croix" que vous pourrez admirer et vénérer en faisant vôtre la prière suivante, dite chaque jour par la Communauté :

ADF 349 PDL 4Salut ô Croix

Source de notre espérance

Glorieuse Croix de Jésus ressuscité

Tu ouvres à tous le chemin vers le pardon

Ô Dieu sauveur, ô Trinité,

Vers toi montent nos louanges

pour la victoire de la Croix !

Donne-nous un cœur nouveau

Que nos cœurs s’ouvrent à ta lumière !

Amen

Louisette (Pays-de-Loire)