J’ai rencontré mon mari Roland, qui revenait de la guerre d’Algérie, dans un groupe lyrique où nous chantions des opérettes. Il était alors âgé de 22 ans et moi de 20 ans. Sa passion pour moi et son charme me convainquirent et j'acceptais de devenir sa femme après un temps de fiançailles. Mais il venait me voir dans mon petit logement et je me suis retrouvée enceinte deux mois avant notre mariage.

Nous habitions un vieux pavillon datant d'avant-guerre, sans aucun confort (W-C dans le jardin), en attendant de pouvoir acheter un appartement. Travaillant dur, je ne me voyais pas avec un bébé dans ces conditions. Roland ne me soutenant pas, je me suis fait avorter par une « faiseuse d'anges » comme on disait avant. L'avortement est une blessure profonde pour une femme et ce remords me poursuit encore malgré le pardon reçu du Seigneur.

Nous avons tous des blessures. Quant à moi, j'étais l'aînée de six enfants issus du remariage de mes parents, qui eux-mêmes traumatisés par des drames les ayant touchés de près l'un et l'autre : mort brutale de chacun de mes oncles, l'un pendu dans le jardin et l'autre fusillé par les Allemands.

Après cinq ans de mariage, un fils nous est né, qui faisait notre joie. Mais Roland a pris de l'ascendant sur moi, me méprisant, m’abaissant et m’humiliant devant les enfants, surtout depuis la naissance de notre fille, deux ans plus tard, affligée d’un « bec de lièvre ». Mon mari m'aidait tout de même beaucoup à la maison et je lui en étais reconnaissante mais je ne me sentais pas vraiment comprise ni aimée en tant que femme, recevant peu de tendresse et plutôt malmenée dans nos relations intimes. Lui-même, fils unique d’un père dominateur, a voulu suivre ses traces et m'imposait ses façons. Nous étions trop différents, lui le « bon vivant », comme on dit, et moi discrète, blessée et intériorisée. J'ai essayé de le lui faire comprendre sans succès et je me suis murée de plus en plus dans le silence.

J'aurais dû partir mais je ne me sentais pas assez forte et plutôt brisée. Je craignais mon mari et sa violence. J'ai commencé une longue période de dépression à partir de 1976 avec des temps d’hospitalisation de deux à trois mois, dont je garde le souvenir déchirant des séparations douloureuses d’avec mes enfants.

Nos deux enfants vont connaitre une maman dépressive, et ce calvaire, avec des rémissions, va durer 22 ans jusqu’à notre divorce.

temoignage 332Durant cette dépression, après trois semaines d'arrêt maladie, je repris mon travail en sachant que mon mari avait fait une nouvelle demande pour me faire hospitaliser en psychiatrie. Sur une réflexion ironique de mon supérieur me conseillant d'aller me reposer, le 16 janvier 1988, je pris l'ascenseur pour monter au huitième étage à la terrasse de la cafétéria de mon bureau, pour en finir. Au fond du désespoir, je fis ma prière au Seigneur avant de sauter et là, ô miracle, merci mon Dieu, ma chute d’une vingtaine de mètres fut amortie par le toit d'une voiture qui n'était pas là avant ma prière. Je m’en suis sortie avec une simple côte cassée.

Ce fut pour moi la révélation que Dieu m'aimait, qu'Il était là, que je n'étais pas seule et que je devais continuer de vivre, mais autrement. Il m'a en effet guidée par la suite vers des groupes de prière, m’a donné progressivement le besoin de me rendre quotidiennement à la messe, d’y communier et d’y accueillir d’autres blessés de la vie...

Peu à peu, Jésus m’a guérie et je sens Marie à mes côtés grâce à la Communion Notre-Dame-de-l'Alliance. Elle veille sur nous, les frères et sœurs fidèles à notre sacrement de mariage, avec les prêtres qui nous accompagnent. Nous formons une belle chaîne d'amitié entre nous. Cela me rend heureuse et me donne la liberté des enfants de Dieu.

Mes deux enfants ont eu à gérer leurs propres blessures et ont choisi des conjoints à problème aussi mais solides. Je les vois heureux dans leur foyer avec leurs enfants et j'en rends grâce à Dieu. Je crois que je suis arrivée à pardonner à Roland car je prie pour lui et eux tous chaque jour.

Danièle (Evry) – ILE-DE-FRANCE (AVON)